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Les Arnon au fil des siècles

300 ans d'histoire et de généalogie d'une famille de souche charentaise.

Constant ARNON, de Loubillé au bagne de Nouvelle Calédonie - 2ème partie

Publié le 13 Octobre 2017 par Stéphane Metayer in Arnon, Bouquet, Chives, Fontaine Chalendray, Saint Fraigne, Couture d'Argenson, Nouvelle Calédonie, Bagne, 3A.P.E

Repères géographiques (Source Mappy)
Repères géographiques (Source Mappy)

Repères géographiques (Source Mappy)

L'article qui suit est basé sur les archives judiciaires librement accessibles aux Archives Départementales de Charente Maritime (La Rochelle) et aux Archives Nationales de l'Outre Mer (Aix en Provence). Je me suis contenté de retranscrire les faits sans prendre partie, tout en expurgeant les détails les plus durs.

 

Mercredi 6 juin 1888, Jeanne Chailler épouse Chadoutaud, âgée de 50 ans et cultivatrice au village de Grollaud, commune de Saint-Fraigne, est en train de faire paître ses bêtes près du « Bois Bistard » situé à un kilomètre de chez elle quand, vers 17h, un homme qu'elle ne connaît pas s'approche d'elle et la salue. L'individu entame la conversation, demande à Jeanne Chadoutaud comment elle se porte, parle de l'herbe abondante puis demande si le bois voisin est bien celui d'Aristide Aubin. Puis il questionne la cultivatrice :

 

« Vous ne me reconnaissez pas ? »

 

La femme lui répond que non mais l'homme affirme qu'elle l'a pourtant bien vu dans ce bois car il y est passé il n'y a pas si longtemps et qu'elle était déjà dans ce même champs. Tout en discutant, l'homme se rapproche de cette femme. Quand il ne se trouve plus qu'à un mètre d'elle, il lui dit :

 

« Je veux te baiser. »

 

L'homme saisit Jeanne Chadoutaud à bras le corps et la fait tomber face contre terre puis, d'une main, attrape sa victime par la gorge tandis que l'autre passe sous les jupes de la femme. Lorsque cette dernière se met à vouloir crier, l'homme lui serre la gorge pour étouffer tous les sons qui pourraient en sortir. Il la menace de l'étrangler ou de lui mettre un coup de couteau si elle ne le laisse pas faire ce qu'il veut. Toutefois la cultivatrice ne cède pas et continue de lutter. Elle parvient à crier et se débattre. Devant la résistance de sa proie, l'agresseur relâche son emprise et finit par prendre la fuite.

 

Les Morin père et fils, deux cultivateurs présents non loin des lieux, alertés par les cris, accourent pour porter secours à la victime. Ils découvrent une femme en état de choc, le cou tuméfié, perdant du sang par la bouche. Celle-ci leur raconte ce qu'il vient de lui arriver et décrit son assaillant. Il s'agit d'un homme grand - pour l'époque – environ 1m75, cheveux noirs, le teint brun. Elle décrit également les vêtements de son agresseur. Les deux hommes partent à la poursuite de l'individu dans le bois voisin, mais en vain.

 

La gendarmerie est alertée et plusieurs hommes sont suspectés. L'un d'eux particulièrement attire l'attention des forces de l'ordre. Il se nomme Villard. C'est un puisatier d'une quarantaine d'années, originaire de Manot, dans l'est de la Charente, qui exerce son métier dans la région. Sans domicile fixe, il fait figure de suspect idéal. Il finit par être recherché et inculpé pour cette tentative de viol et pour exhibition envers une autre femme de Saint-Fraigne à la même époque. Durant plusieurs semaines il apparaît comme l'agresseur potentiel. Mais début août, un doute s'installe : Villard à l'époque des faits qui lui sont reprochés, portait la barbe et la conservera jusque dans le courant du mois de juillet. Or, lors de son arrestation, courant juillet, il porte simplement la moustache – comme l'agresseur de Mme Chadoutaud. Les enquêteurs, aillant eu vent d'un autre viol commis fin juillet et dont le mode opératoire est proche de ce qu'a vécu la cultivatrice de Saint-Fraigne, se mettent à suspecter ce nouvel agresseur.

 

Cet autre viol a eu lieu le dimanche 22 juillet 1888. La victime en est une femme de 61 ans, Marie Pineau, veuve Michaud, demeurant au village « Chez D'Aigre » sur la commune de Villiers Couture (17). Voici les faits tels qu'ils sont décrits dans le procès verbal de constatation en date du 25 juillet :

 

« (…) Dimanche dernier, 22 courant, entre 5 et 6 heures du soir, je me rendais au village de la Pierrière, commune de Fontaine Chalendray, chez mon beau-frère, le (nommé) Louis Audureau (dit Duret). Arrivée à environ 1 kilomètre du village, un individu, que j'avais déjà aperçu un instant auparavant, m'apparut au pas d'un champ, sur le bord du chemin, me faisant face, sa queue sortie de son pantalon. À son aspect, je lui dis : - Oh ! Grand vilain ! Veux-tu bien te cacher – et je voulus me sauver. Mais à peine eus-je fait quelques pas que je me sentis terrassée, la face vers le sol, m'appuyant sur les mains et sur les genoux, et qu'une main m'étreignait la gorge, de manière à me maintenir sans toutefois me faire de mal, tandis que l'auteur de cette violence cherchait, de l'autre main, à relever mes jupons par derrière. Dans mon émotion, je ne pus que pousser deux ou trois faibles cris, et mon agresseur me dit : - Si tu bouges, je t'étrangle, mais si tu restes tranquille, je ne te ferai pas de mal ; allons range-toi un peu mieux que çà. - En présence de cette menace et en voyant personne pour me porter secours, je n'opposai plus aucune résistance et subis le dernier outrage. Comme cet individu avait la verge de très forte dimension, il prit beaucoup de peine pour arriver à son but, et lorsque sa passion brutale fut assouvie et qu'il me lâcha, je pus le voir se sauver dans le champ d'où il était sorti lorsqu'il m'apparut, en suivant la haie qui borde le chemin. Il ne m'a fait aucun mal et je ne porte aucune marque de violence. Je ne connais point mon bestial agresseur et je ne puis donner de lui qu'un signalement très restreint. J'ai seulement remarqué qu'il était de taille moyenne, pouvait être âgé de 30 ou peut être 40 ans, je ne saurais préciser, était vêtu d'un pantalon noir et d'une sorte de veston. Sans doute un tricot, de même teinte. Il m'a semblé qu'il était brun et ne laissait pas pousser de barbe. Je ne crois pas que ce soit un étranger.

Je ne puis désigner personne comme étant l'auteur de cet attentat, et si le nom de Gentilhomme a été mis en avant, ce n'a été que par simple supposition, et parce que, parait-il, cet individu ne jouit pas d'une excellente réputation et que son signalement concorderait assez avec celui que j'ai pu donner de mon agresseur. Je ne le connais d'ailleurs pas.

Si l'individu qui m'a outragé se trouvait en ma présence, peut-être pourrais-je le reconnaître. »

Le Gentilhomme dont le nom apparaît dans la déclaration de la veuve Michaud, est un ouvrier de passage dans la région. Mais lors de l'agression celui-ci se trouvait être en compagnie de plusieurs personnes, ce qui l'innocentera. Il est toutefois intéressant qu'à chaque agression on suspecte principalement des gens de passage, comme si le crime ne pouvait venir que de l'extérieur, de l'étranger à la communauté. Dans l'affaire de l'agression de Jeanne Chatoutaud sur les trois suspects envisagés dans un premier deux d'entre eux étaient extérieurs aux villages environnants puisque Villard était un puisatier qui voyageait de village en village en pour trouver du travail, et un autre suspect était colporteur d'eau de vie.

 

Sans que l'on sache pour quelles raisons, les soupçons se portent alors sur Constant Arnon. Certes, il semble convenir à la description que les victimes ont faite de leur agresseur, mais cela ne fait pas de lui un coupable. Est-ce sa mauvaise réputation qui lui vaut l'intérêt des gendarmes puis de la justice ? Lors de l'enquête de moralité qui est effectuée au près des villages où il vécu, c'est à Chives – sa résidence depuis près de deux ans – qu'il est mal vu. Il est décrit comme un homme violent et libertin. D'autant que des rumeurs courent à son sujet et qui se révéleront exactes.

 

Pendant une dizaine de jours, les gendarmes enquêtent, interrogent. Des affaires d'exhibitions remontent à la surface. Dans un secteur assez large entre le village de Bouchet (commune de Lupsault), Chives, Saint-Fraigne, plusieurs femmes témoignent des agissements d'un homme nu ou à demi nu jaillissant des bois pour s'exhiber. Les descriptions concernant l'exhibitionniste sont imprécises car l'homme prenait soin de masquer son visage lors de ses apparitions.

 

Et puis on se met à parler de Constant Arnon et de la petite Léontine... Les soupçons des gendarmes sont si forts que le 3 Août 1888 ordre est donné à la brigade de Beauvais sur Matha d'arrêter Constant Arnon. À la lecture du télégramme demandant l'autorisation d'effectuer cette arrestation, il est fait état d'un danger de crime.

Télégramme de la gendarmerie de Beauvais sur Matha demandant l'autorisation d'arrestation
Télégramme de la gendarmerie de Beauvais sur Matha demandant l'autorisation d'arrestation

Télégramme de la gendarmerie de Beauvais sur Matha demandant l'autorisation d'arrestation

Dès le lendemain, le juge d'instruction du tribunal de Saint Jean d'Angély, un greffier et un médecin se rendent sur place pour effectuer les premières constatations et les premiers interrogatoires.

 

Voyant son mari arrêté, Zélie Deléchelle, la femme de Constant Arnon, explique aux gendarmes ne pas avoir à se plaindre de son mari. Mais elle change rapidement de version lorsqu'elle se trouve devant le juge d'instruction. La petite Léontine est également interrogée. Là, elle raconte que depuis près de deux ans – peu de temps avant que la famille ne quitte Couture d'Argenson – le mari de sa mère (son « oncle ») abuse d'elle régulièrement. Sa déclaration est si précise qu'il n'est pas permis de douter de sa sincérité et le constat du médecin confirme les dires de la petite fille.

 

Zélie lors de l'un de ses interrogatoires dira être au courant des agissements de son époux et qu'elle lui avait demandé de cesser. Mais celui-ci l'aurait frappé et menacé de la tuer si elle disait quoi que ce soit et qu'elle craignait pour sa vie. D'ailleurs, concernant sa relation avec son mari, elle explique donc dans un premier temps qu'elle n'avait pas de reproches à faire à son mari, puis elle évoluera en expliquant qu'il avait changé depuis leur départ de Couture pour Chives et dans un autre interrogatoire, elle dit que dès les premiers jours de leur mariage, il s'était montré violent, n'hésitant pas à la menacer d'un revolver. Quant à Léontine, il lui disait que si elle en parlait à qui que ce soit, sa mère serait très fâchée contre elle, ce qui suffisait à obtenir le silence de la fillette. Sans vouloir entrer dans les détails des viols exercés sur Léontine et qui n'apporteraient sans doute pas grand chose à être décrits, on constate simplement que Constant Arnon abusait d'elle dans une position identique ou se rapprochant de celles qu'il a imposé à la veuve Michaud, tout en « prenant soin » d'abuser de la jeune enfant par d'autres voies que celles destinées à la reproduction...

 

Acculé, Constant Arnon avoue ses crimes dès le 4 Août. Que ce soit ceux qu'il a infligé à Léontine – dont la dernière atteinte ne date que de deux ou trois jours - que le viol de la veuve Michaud.

 

Suivront plusieurs confrontations avec ses victimes supposées (car il n'est pas encore jugé coupable). Il est reconnu par Mme Michaud. Puis lorsque les enquêteurs font le rapprochement avec l'agression subie par Mme Chadoutaud, il est également confrontée à cette dernière qui le reconnaît formellement. Mais contrairement aux agressions envers Léontine et Marie Michaud, Constant Arnon nie être l'agresseur de Jeanne Chadoutaud, et le niera jusqu'à son procès. Pour ce qui est des exhibitions dans les bois du secteur, même si il est fortement suspecté, personne ne peut l'identifier formellement car l'individu se cachait le visage.

Premier interrogatoire en date du 4 Août 1888 où Constant Arnon reconnait les faits
Premier interrogatoire en date du 4 Août 1888 où Constant Arnon reconnait les faits

Premier interrogatoire en date du 4 Août 1888 où Constant Arnon reconnait les faits

Constant Arnon est donc renvoyé devant la cour d'assise de Saintes. Son procès se déroule le 16 août 1888. A 11heures, 12 jurés sont tirés au sort – uniquement des hommes à cette époque. Puis 20 minutes plus tard, les débats commencent. Le jury est chargé de répondre à quatre questions :

 

1- Arnon Constant, accusé présent, est-il coupable d'avoir de 1886 à 1888, à Couture d'Argenson et à Chives, commis un ou plusieurs attentats à la pudeur consommés ou tentés sans violence sur la personne de Deléchelle Léontine âgée de moins de treize ans ?

 

2 – Au moment de l’accomplissement de ces attentats à la pudeur, la dite Deléchelle Léontine habitait-elle chez le dit accusé, mari de sa mère naturelle ?

 

3 – Le dit accusé Arnon est-il coupable d'avoir le 6 juin 1888 à Saint Fraigne tenté de commettre un viol sur la personne de Jeanne Chailler, femme Chadoutaud, laquelle tentative manifestée par un début de commencement d'exécution n'a été suspendue ou n'a manqué son effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur ?

 

4 – Le dit accusé Arnon est-il coupable d'avoir, le 22 juillet 1888 à Fontaine Chalandray, commis un viol sur la personne de Marie Pineau veuve Michaud ?

 

À toutes ces questions le jury répond oui à la majorité. Constant Arnon est reconnu coupable et est condamné à 7 ans de travaux forcés, avec l'autorisation de pouvoir revenir une fois sa peine effectuée (ce qui n'était pas toujours le cas car on se servait des bagnards pour peupler les territoires où ceux ci se trouvaient).

 

La nouvelle ère des Charentes - 22 Novembre 1888

La nouvelle ère des Charentes - 22 Novembre 1888

Le 10 mai 1889, il embarque avec la chiourme sur le Magellan à destination du bagne de l'île Nou en Nouvelle Calédonie.

 

Par la suite, nous ne savons presque rien de son existence, si ce n'est qu'il était affecté à la tâche d'effilocheur et qu'il a eu une bonne conduite durant les deux ans durant lesquels il resta emprisonné. Toutefois, la documentation sur le bagne de Nouvelle Calédonie nous dévoile un peu de ce que pouvait être sa vie là bas.

 

Constant Arnon décède le 21 octobre 1891 sans que l'on connaisse la cause de sa mort. Toutefois entre la violence des gardiens, les maladies (comme les fièvres, la lèpre), la malnutrition, les conditions de vie et de travail extrêmes sont autant de raisons potentielles.

Le Magellan, navire prison, construit en 1884, reliant la Métropole aux bagnes de Guyane et de Nouvelle Calédonie
Le Magellan, navire prison, construit en 1884, reliant la Métropole aux bagnes de Guyane et de Nouvelle Calédonie

Le Magellan, navire prison, construit en 1884, reliant la Métropole aux bagnes de Guyane et de Nouvelle Calédonie

Un prochain article sera consacré au bagne de Nouvelle Calédonie.

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